Les Souffleurs, Commandos poétiques • Philharmonie
- Marie Tirard
- 1 déc. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 déc. 2024
"Murmure du mot dans l'invisible, musique du sens
qui se renouvelle dans un poème si secret que le
lecteur croit en être l'auteur !"
- Mahmoud Darwich, La Trace du Papillon, Actes Sud, 2009
Ce poème de Mamhoud Darwich exprime parfaitement la sensation que j'ai ressenti hier, en rencontrant, de manière tout à fait inattendue les souffleurs, commandos poétiques, alors que je m'apprêtais à écouter le concert du trio Joubran, trois frères oudistes palestiniens, à la Philharmonie. (nldr: l'oud est un luth oriental très ancient).
A l'entrée de la grande salle Philharmonique, dans ce lieu d'habitude destiné à l'attente, des personnes habillées en noir, arborent des ombrelles noires, signalant leur mystérieuse présence. Elles semblent comme tombées du ciel. Ou peut-être se sont-elles évadées d'un tableau de René Magritte. Avec lenteur et délicatesse, iels se déplacent dans l'espace avec de longs tubes déposés à l'oreille des auditeurs curieux. Ces tubes, trait d'union entre deux oreilles étrangères, créent des liens intimes entre deux individus inconnus. Ma première impression est visuelle - l'esthétique fortuite, surréaliste, de ces tubes qui se croisent dans mon regard, et qui invitent également à croiser le regard de ces personnes mystérieuses. Je regarde intensément l'une de ces personnes qui déambulent, et elle me regarde à son tour, à travers son éventail. Je pose mon oreille sur le tube qu'elle me tend, et elle me chuchote un poème, dont je ne me souviens que quelques mots. C'était à propos d'un papillon. Ce papillon semblait être l'enfant en nous qu'on aurait abandonné, mais qui ne désire que voler à nouveau. Mon oreille est posée sur le tube de façon perpendiculaire, ce qui m'empêche de pouvoir regarder la souffleuse qui me murmure ces mots. Ainsi, comme l'écrit Mahmoud Darwich dans les lignes citées plus haut, j'avais presque l'impression d'être l'auteure de ce poème murmuré et secret. Les mots qui me furent soufflés étaient issus d'un poème en prose de ce même Mahmoud Darwich, célèbre poète Palestinien avec qui le trio Joubran a joué plusieurs fois. Lors du concert, nous allions entendre sa voix retentir à nouveau, enveloppée par les cordes d'oud ondoyantes.
Le hall d'attente est devenu une hétérotopie, un espace "autre" de partage social, de rencontre, certes inattendue, mais vivement espérée. Car lorsqu'on en fait l'expérience, on s'aperçoit qu'on éprouve le besoin de ce partage, de cette résonance. Ce désir était présent en soi, latent.
Le hall d'attente est devenu une hétérotopie, un espace "autre" de partage poétique, de rencontre, certes inattendue, mais vivement espérée. Car lorsqu'on en fait l'expérience, on s'aperçoit qu'on éprouve le besoin de ce partage, de cette résonance. Ce désir était présent en soi, latent. Dans ce moment de tragédie humaine, de guerres, génocides et autres atrocités désespérantes, la poésie intervient comme une arme, une sorte de "contre-dispositif" ou de riposte contre la guerre pour rester vivant, rester humain.
Telle une musique transmise de manière orale, les mots poétiques qui m'ont été soufflés, sont rentrés par mon oreille de façon furtive, tout en laissant une impression durable de guérison.
Je vous souhaite également une telle rencontre poétique.
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‘The murmur of the word in the shadows,
the music of meaning,
which is repeated in a poem, so secret,
that the reader believes himself to be the author!
- Mahmoud Darwich, La Trace du Papillon, Actes Sud, 2009
This poem by Mamhoud Darwich perfectly expresses the sensation I felt yesterday when I unexpectedly came across the souffleurs, poetic commandos, as I was about to listen to the concert by the trio Joubran, three Palestinian oud players, at the Philharmonie de Paris. (ed. the oud is an ancient oriental instrument).
At the entrance to the main Philharmonic Hall, in a place usually reserved for waiting, people dressed in black are carrying black umbrellas, signalling their enigmatic presence. They seem to have fallen from the sky. Or perhaps they have escaped from a René Magritte painting. Slowly and delicately, they move through the space with long tubes that they place in the ears of curious listeners. These tubes, a link between two foreign ears, create an intimate bond between two unknown individuals. My first impression is visual - the fortuitous aesthetics of these tubes crossing my gaze, and also inviting me to cross the gaze of these mysterious people. So I stare intently at one of these people wandering around, and she stares back at me, mysteriously. I put my ear to the tube she was holding out to me, and she whispered a poem to me, of which I only remember a few words. It was about a butterfly. This butterfly seemed to be the child inside us that we have abandoned, and which asks to fly again. I recognise myself in these lines. My ear is perpendicular to the tube, so I can't look at the "souffleur" who is whispering these words to me. As Mahmoud Darwich wrote in the lines quoted above, I almost had the impression of being the author of this murmured, secret poem. The words that were whispered to me were a prose poem by the same Mamhoud Darwich, the famous Palestinian poet with whom the Jourdan trio has played several times. During the concert, we were to hear his voice ring out again, enveloped by the undulating oud strings.
The waiting room has become a heterotopia, an ‘other’ special space of poetical sharing, of encounters that may be unexpected, but are nonetheless eagerly awaited. Because once you've lived it, you realise that the need for this sharing, this desire, was present inside you, even if it was latent.
The waiting room has become a heterotopia, an ‘other’ space for poetical sharing, for encounters that may be unexpected, but are nonetheless eagerly awaited. Because once you've lived it, you realise that the need for this sharing, this desire, was present inside you, even if it was latent. At a time of human tragedy, war, genocide and other despairing atrocities, poetry is a necessary response to war in order to stay alive, to stay human. As the musicians said at their concert: ‘We are neither victims nor heroes, we play music to protect our humanity’. This also resonates with Mahmoud Darwich's words spoken during the concert ‘every being on earth deserves life’.
Just like a folk song transmitted orally, the poetic words that were whispered to me entered my ear furtively, leaving, yet, a lasting impression of healing. I wish you the same poetic encounter.
Stay tuned for the next article!
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